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Reconnaître, soutenir et protéger les marchés territoriaux
[Cet article est extrait du document «Etablissement de liens entre les petits exploitants et les marchés. Ce que le MSC préconise».]
(…) La plus grande partie de la nourriture consommée dans le monde (70%) est produite par les petits producteurs et les travailleurs agricoles. La plupart de ces aliments est canalisée à travers ce que nous proposons d’appeler des «marchés territoriaux», comme expliqué ci-dessous. Seulement 10-12% des produits agricoles est négocié sur le marché international et notamment seulement 9% de la production de lait, 9,8% de la production de viande, 8,9% de la production de riz et 12,5% de la production de céréales[1]. En conséquence, le concept de vouloir «établir des liens entre les petits exploitants et les marchés» est trompeur: dans le monde entier, plus de 80% des petits exploitants opèrent déjà sur des marchés territoriaux qui jouent un rôle primordial pour garantir la sécurité alimentaire et la nutrition[2]. Nous voulons que ces marchés soient reconnus, soutenus et défendus par des politiques publiques appropriées.
Nous proposons d’appeler ces marchés «territoriaux» car ils sont situés dans des territoires spécifiques et sont identifiés à travers ces territoires. Ils peuvent opérer au niveau du village mais aller jusqu’à l’échelle du district, du pays, transfrontalier ou régional. En conséquence, ils ne peuvent pas être définis comme étant des marchés «locaux». Leur organisation et leur gestion peuvent incorporer une dimension formelle plus ou moins forte, mais ils conservent toujours un lien avec les autorités compétentes. En conséquence de sorte ils ne peuvent pas être définis comme étant purement «informels». Ils répondent à la demande alimentaire dans différents types de zones: rurales, périurbaines et urbaines. Ils impliquent d’autres acteurs à petite échelle sur le territoire: grossistes, transporteurs, transformateurs, détailants, commerçants… Parfois, ces autres fonctions sont assurées par des petits exploitants ou leurs associations. Les femmes sont les acteurs clés dans ces marchés, ils leurs fournissent une source importante d’autorité et des revenus dont bénéficient également leurs familles.
Ces marchés sont extrêmement divers, mais ils se distinguent tous par certaines caractéristiques, par rapport aux systèmes d’approvisionnement alimentaire dans le monde et notamment:
– Ils sont directement liés aux systèmes alimentaires locaux, nationaux et/ou régionaux: l’aliment concerné est produit, transformé, commercialisé et consommé dans un «territoire» donné, réduisant d’autant la distance entre les producteurs et les consommateurs/utilisateurs finaux et raccourcissant la longueur du circuit commercial.
– Ils remplissent des fonctions économiques, sociales et culturelles multiples au sein de leurs territoires respectifs – à commencer par, mais sans s’y limiter, la fourniture de nourriture.
– Ils sont les plus rémunérateurs pour les petits exploitants, étant donné qu’ils permettent un plus grand contrôle des conditions d’accès et des prix par rapport aux chaînes de valeur traditionnelles.
– Ils contribuent à l’économie du territoire, étant donné qu’ils permettent de conserver une plus grande part de la valeur ajoutée et de reverser une plus grande part de revenu dans l’exploitation ainsi que dans les économies locales. Ils représentent donc une contribution importante à la lutte contre la pauvreté rurale et contribuent à la création d’emplois.
Dans le monde entier il existe des marchés liés aux territoires. Dans leur grande majorité, ces espaces sont les plus importantes sources pour l’approvisionnement alimentaire dans des régions comme l’Afrique, l’Asie, l’Amérique latine et le Proche-Orient. Ils gagnent également en importance en Europe et en Amérique du Nord. (…) Malgré cela, jusqu’à présent, ces marchés ont été ignorés par les travaux de recherche, par les enquêtes et collectes de données ainsi que par les politiques publiques ou encore lors de la prise de décision d’investissement, de sorte que leur fonctionnement est insuffisamment compris, soutenu et protégé. Cela explique pourquoi il n’existe pas encore de terme convenu pour les décrire.
L’approche territoriale – dont les marchés sont une composante importante – est utilisée de manière croissante et de plus en plus largement dans le contexte de la gestion des ressources naturelles, de la planification du développement (…).
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Déclaration de La Via Campesina sur le commerce, les marchés et le développement à la CNUCED 2016
[Nairobi – 19 juillet 2016]
La quatorzième session de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED) aura lieu à Nairobi, Kenya, du 17 au 22 juillet 2016. À cette occasion, nous, membres de La Vía Campesina, nous réitérons notre engagement en faveur de la souveraineté alimentaire et du droit à l’alimentation ainsi que notre détermination à mettre fin aux soi-disant projets du néolibéralisme basés sur le « paradigme du libre-échange » et le « développement dicté par le marché », des projets qui ne servent qu’à consolider le contrôle des grandes sociétés sur nos systèmes alimentaires. En tant qu’organe des Nations unies, nous nous attendons à ce que la CNUCED et ses États membres priorisent les processus démocratiques et participatifs visant à obtenir des politiques qui font la promotion de la souveraineté alimentaire. La CNUCED ne doit pas être utilisée pour promouvoir des accords de libre-échange (ALE), y compris les Accords de partenariat économique (APE) de l’Union européenne en Afrique, qui, les uns à la suite des autres, produisent plus de faim, de pauvreté et d’exclusion pour les peuples partout sur la terre.
À propos de la CNUCED
Nous, La Vía Campesina, nous avons chaleureusement accueilli en 2015 la publication du rapport de la CNUCED Smallholder Farmers and Sustainable Commodity Development, qui reconnaît notre rôle vital dans la production d’aliments et les marchés ainsi que le besoin des gouvernements et des institutions multilatérales de travailler directement avec nous pour atteindre les objectifs de développement durable (ODD) des Nations unies. Cependant, nous nous opposons fermement aux nombreuses recommandations du rapport, dont la plupart appuient la marchandisation de notre production agricole. Nous rejetons catégoriquement l’hypothèse sous-jacente du rapport selon laquelle nous ne pourrons être une source d’aliments et de nutrition viable à long terme pour nos populations que si nous devenons des « entreprises commerciales » prospères axées sur la recherche du profit. Nous dénonçons également les tentatives en cours de marchandiser l’alimentation et la nutrition, et nous rappelons à tous les participants réunis à la CNUCED 14 que l’alimentation est un droit humain.
Les actions de la CNUCED que nous observons suivent un paradigme commercial néolibéral dicté par le libre marché qui va totalement à l’encontre du paradigme de la souveraineté alimentaire, un paradigme où les petits paysans sont des acteurs sociaux, culturels et historiques qui prennent des décisions basées sur une diversité de facteurs personnels, éthiques et culturels, non pas exclusivement basées sur le profit, les affaires et le marché. Au lieu d’appuyer les projets de promotion du commerce avancés par les multinationales, nous voulons que la CNUCED nous protège contre les Accords de libre échanges destructeurs et secrets promus par l’antidémocratique Organisation mondiale du commerce (OMC), comme le PTCI (Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement), le PTP (Partenariat transpacifique), l’AECG (Accord économique et commercial global), le TiSA (Accord sur le commerce des services) et les APE et leurs soi-disant mécanismes de règlement des différends entre investisseurs et États (ISDS). Nous, les paysans et paysannes de la planète, nous nourrissons aujourd’hui la majorité de la population mondiale et nous le faisons malgré les nombreux ALE qui visent à déplacer la production et le commerce paysans partout sur la planète.
Production paysanne et marchés locaux
Sur la planète, plus de 80 % des petits paysans évoluent dans les marchés alimentaires locaux et nationaux et la plupart d’entre eux commercent informellement. C’est dans ces marchés hautement diversifiés que transitent la plus grande partie des aliments consommés dans le monde. Ces marchés fonctionnent à l’intérieur d’espaces territoriaux qui vont du local au transfrontalier au régional et ils se trouvent dans des milieux ruraux, périurbains et urbains.
Ces marchés sont directement liés aux systèmes alimentaires locaux, nationaux et/ou régionaux : leurs aliments sont produits, transformés, échangés et consommés dans un espace donné où la valeur ajoutée y est retenue et partagée, tout en contribuant à la création d’emplois. Ils peuvent fonctionner selon des arrangements structurés ou informels qui offrent une plus grande flexibilité aux petits producteurs ; ils imposent moins de barrières à l’entrée et permettent plus de contrôle sur les prix et les conditions du marché. Ces marchés remplissent de multiples fonctions au-delà de l’échange de marchandises et sont des espaces d’interaction sociale et d’échange de connaissances. Ce sont les marchés les plus importants, notamment pour les femmes paysannes, eu égard à l’inclusion et à l’accès, et ils contribuent grandement à la réalisation de notre droit à l’alimentation et à la nutrition.
Les systèmes de récolte de données ignorent souvent les marchés informels malgré leur grande importance. Ainsi, ces marchés ne sont même pas pris en compte dans les processus de définition des politiques publiques. Puisque la plupart des femmes paysannes vendent leurs produits sur les marchés informels, leur contribution essentielle aux systèmes alimentaires, y compris la distribution d’aliments, et à la croissance économique est largement ignorée au moment d’établir les politiques relatives au commerce et au développement. Et ces femmes sont confrontées à des barrières socio-économiques spécifiques dans l’accès aux ressources et aux opportunités de commercialisation, ce qui les marginalise et viole leurs droits encore plus. Étant donné l’importance de la sécurité alimentaire et des moyens de subsistance des petits paysans, les politiques et les investissements publics devraient être orientés pour renforcer, accroître et protéger les marchés locaux et nationaux approvisionnés par les paysans.
Nous appelons la CNUCED et ses États membres à appuyer la collecte de données complètes sur les marchés locaux, nationaux et informels — tant ruraux qu’urbains — liés aux territoires pour améliorer les corpus de données utilisées comme base dans la définition des politiques, y compris des données ventilées par sexe, et à les intégrer en tant qu’élément régulier des systèmes de collecte de données nationaux et internationaux.
Nous recommandons des politiques tarifaires transparentes et équitables pour tous les produits agricoles qui fournissent une rémunération complète du travail et des investissements des petits paysans, y compris les femmes rurales. Les politiques tarifaires doivent donner aux petits paysans un accès opportun et abordable aux informations du marché de manière à leur permettre de prendre des décisions éclairées quant au moment et au lieu de la vente des produits, afin de les protéger contre les abus des acheteurs, notamment dans les marchés concentrés.
Nous demandons que des programmes d’achat publics et institutionnels soient mis en place pour permettre aux petits paysans de compter sur une demande régulière et stable en produits agricoles à des prix équitables et aux consommateurs d’avoir accès à des aliments sains, nutritifs, diversifiés, frais et produits localement, y compris durant les crises et les conflits. Nous voulons que ces programmes d’achat soient utilisés par les institutions publiques comme les écoles, les hôpitaux, les prisons, les maisons de retraites et les administrations. Les cantines de ces institutions pourraient alors être approvisionnées par des aliments produits par les petits paysans; Des mécanismes participatifs doivent être définis pour que les producteurs prennent part au schéma d’approvisionnement. Etant donné les déséquilibres dans les fonds de soutien nationaux des pays développés, nous réitérons notre appel à ce qu’une solution durable soit trouvée au problème du stockage public. Nous redisons notre engagement à construire des programmes d’achat publics et institutionnels robustes.
Pour y parvenir, nous rappelons aux gouvernements nationaux qu’ils doivent garantir un accès juste et équitable à la terre, à l’eau, aux territoires et à la biodiversité et nous les invitons à se référer aux Directives volontaires pour une gouvernance responsable des régimes fonciers applicables aux terres, aux pêches et aux forêts dans le contexte de la sécurité alimentaire nationale.
L’alimentation est un droit humain et elle ne doit pas être traitée comme une simple marchandise. Nous appelons la Conférence de la CNUCED de 2016 à repenser son approche de la question de l’alimentation et son lien avec le commerce et le développement. Les paysans sont au cœur de la production alimentaire. Nous avons besoin de toute urgence de la souveraineté alimentaire et ceci nécessite la protection et la renationalisation des marchés alimentaires nationaux, la promotion de circuits locaux de production et de consommation, la lutte pour la terre, la défense des territoires des peuples autochtones et des réformes agraires en profondeur. Il est nécessaire de s’éloigner des fausses promesses que portent les systèmes de production promus par la révolution verte. Ces systèmes dépendent de volumes importants d’intrants et de capitaux et fonctionnent sur la base de la hypothèse biaisée de la concurrence. La concurrence ne connaît du succès en effet que lorsqu’elle détruit les moyens de subsistance des paysans partout sur la planète.
Nous rappelons aux gouvernements qu’ils ont des obligations en ce qui concerne la prestation de services publics de qualité, indispensables pour assurer une vie digne à la campagne (santé, éducation, etc.). Ces obligations ne peuvent être remplies sans des prix justes qui protègent les paysans locaux contre les sociétés transnationales avides de profits et contre un système d’échange international qui aujourd’hui ne sert que les intérêts de l’agrobusiness et des autres élites privées. En tant qu’organe des Nations unies, la CNUCED devrait s’efforcer d’être cohérente avec ses autres efforts continus, y compris notamment la réalisation effective de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Avec nos alliés à Nairobi et partout sur la planète, nous invitons tout le monde à se joindre à nous dans la lutte pour la souveraineté alimentaire, et pour la fin du « libre échange » que les grandes sociétés privées promeuvent à travers des institutions non démocratiques comme l’Organisation mondiale du commerce (OMC).
[1] FAO (2015) La situation des marchés des produits agricoles 2015–16, FAO (2015) Perspectives de l’alimentation. Les marchés en bref.
[2] T.Reardon et J. Berdequé (à publier), «Agrifood markets and value chains» dans FIDA, Rural Development Report; E. Del Pozo-Vergnes (2013) From survival to competition: informality in agrifood markets in countries under transition. The case of Peru, IIED.